l'usine à bruits - Oskar Panizza



Avril

Je suis retourné à l'usine à bruits où mon maître m'emmène chaque après-midi avec une régularité surprenante. La plupart des visiteurs s'y accroupissent le long des murs et sur des banquettes de velours où ils s'agglutinent les uns contre les autres. Ils se versent dedans le corps un si infect brouet noir qu'ils en ont la gueule fumante. Puis un monstrueux vacarme sort de leurs bouches. Des bordées de sons, des trilles, des entrechocs, des stridulations, des cris éclatent de toutes parts, accompagnés de grimaces, de hochements de tête, de torsion du cou, d'expectorations. Il y a tout lieu de croire qu'on expérimente ici les bruits de bouche qui plus tard joueront un si grand rôle dans la rue. Une vapeur bleue, artificiellement produite, emplit toute la fabrique de bruits et permet à chaque groupe de mener à bien son travail sans être vu par les tables voisines.

Je ne sais toujours pas si ces folles menées sont des expérimentations en vue d'une meilleure compréhension ou si ce sont des réjouissances. Dans le premier cas, les pauvres doivent avoir d'énormes difficultés et ce malgré la perfection de leurs instruments buccaux. Je ne peux qu'admirer d'ailleurs ce qui se passe aux autres tables, autour desquelles sont assis quelques montreurs de jambes. Chacun d'eux tient dans sa main des petits feuillets soigneusement découpés et recouverts de figures amusantes. Ils les jettent violemment sur la table tout en fixant leurs vis-à-vis avec des yeux exorbités et blancs. Cette besogne muette dure un certain temps. Puis un formidable trille déchire toutes les bouches : leur tâche est accomplie, il semblerait qu'ils soient parvenus à une entente.



Oskar Panizza - Journal d'un chien
Traduction Claude Riehl
Plasma – 1983



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