Le baron perché - Gottfried August Bürger / Italo Calvino / Pataphysique



L'ère Pataphysique commence le 8 septembre 1873, qui d'ores en avant prend la dénomination de 1er du mois Absolu An 1 E.P. (Ère ’Pataphysique).

on consultera le calendrier du collège de pataphysique ici







On lit dans les livres qu’au temps jadis, un singe parti de Rome pouvait arriver en Espagne
sans toucher terre, rien qu’en sautant d’arbre en arbre.
Si c’est vrai, je ne sais… De mon temps, seuls le golfe d’Ombreuse,
dans dans toute sa largeur, et sa vallée qui s’élève jusqu’à la crête des montagnes,
possédaient pareilles forêts foisonnantes.
La renommée de notre région n’avait pas d’autres motifs.
Italo Calvino - traduction Juliette Bertrand



Réduit à cet état d’humiliation, j’accomplissais un travail moins dur que singulier, moins avilissant qu’insupportable. J’étais chargé de mener chaque matin au champ les abeilles du sultan, de les garder tout le jour et de les ramener le soir à leur ruche. Un soir, il me manqua une abeille ; mais je reconnus aussitôt qu’elle avait été attaquée par deux ours qui voulaient la mettre en pièces pour avoir son miel. N’ayant entre les mains d’autre arme que la hachette d’argent qui est le signe distinctif des jardiniers et des laboureurs du sultan, je la lançai contre les deux voleurs, dans le but de les effrayer. Je réussis en effet à délivrer la pauvre abeille ; mais l’impulsion donnée par mon bras avait été trop forte ; la hache s’éleva en l’air si haut, si haut, qu‘elle s’en alla tomber dans la lune. Comment la ravoir ? Où trouver une échelle pour aller la rechercher ? Je me rappelai alors que le pois de Turquie croît très rapidement et à une hauteur extraordinaire. J’en plantai immédiatement un, qui se mit à pousser et alla de lui-même contourner sa pointe autour d’une des cornes de la lune. Je grimpai lestement vers l’astre, où j’arrivai sans encombre. Ce ne fut pas un petit travail que de rechercher ma hachette d’argent dans un endroit où tous les objets sont également en argent. Enfin je la trouvai sur un tas de paille. Alors je songeai au retour. Mais, ô désespoir ! la chaleur du soleil avait flétri la tige de mon pois, si bien que je ne pouvais descendre par cette voie sans risquer de me casser le cou. Que faire ? Je tressai avec la paille une corde aussi longue que je pus : je la fixai à l’une des cornes de la lune, et je me laissai glisser. Je me soutenais de la main droite, j’avais ma hache dans la gauche : arrivé au bout de ma corde, je tranchai la portion supérieure et la rattachai à l’extrémité inférieure : je réitérai plusieurs fois cette opération, et je finis, au bout de quelques temps, par discerner au-dessous de moi la campagne du sultan. Je pouvais bien être encore à une distance de deux lieues de la terre, dans les nuages, lorsque la corde se cassa, et je tombai si rudement sur le sol, que j’en restai tout étourdi. Mon corps, dont le poids s’était accru par la vitesse acquise et par la distance parcourue, creusa dans la terre un trou d’au moins neuf pieds de profondeur. Mais la nécessité est bonne conseillère. Je me taillai avec mes ongles de quarante ans une sorte d’escalier, et je parvins de cette façon à revoir le jour.


Gottfried August Bürger
Aventures et mésaventures du baron de Münchhausen
Traduction Théophile Gautier
Editions José Corti - 1998


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