Une mentalité de nourrissons syndiqués - Claude Lucas




Down by law - Jim Jarmusch

« - Ce que vous voulez avant tout, c'est continuer à vivre comme si de rien n'était. C'est pourquoi vos revendications vont toujours dans le sens d'une amélioration matérielle du régime pénitentiaire. J'ai pas ci donne-moi ça, j'veux embrasser ma maman, areu-areu ça fait quinze ans qu'on me sert un biberon froid tous les matins, etc. Vous avez une mentalité de nourrissons syndiqués. Alors le ministère fait semblant de se faire tirer l'oreille, il vous envoie les CRS pour donner à croire qu'il vous prend au sérieux, mais au fond, il se frotte les mains. C'est bon, très bon ça, se dit-il. Nos petits ont enfin une conscience de classe, ils sont mûrs pour l'incompressibilité des peines. Car de même que les ouvriers ne manifestent pas pour qu'on supprime leur usine, vous, vous ne vous mutinez pas pour sortir de prison. Vous voulez seulement y être bien. La qualité de la vie intra-muros indexée sur le progrès social extra-muras. Alors, peu à peu, les prisons vont se transformer en HLM avec eau chaude sur l'évier, vide-ordures incorporé et la sacro-sainte télé. Au fond, vivre dedans, vivre dehors, hein, pourvu qu'on n'ait pas froid aux pieds...
- T'as pas le sentiment d'exagérer un peu ?
- A peine. On a évacué la tragédie de la sphère sociale, et l'homme a rapetissé. Il n'y a plus que des dérives, des nuisances, des pollutions, des problèmes et des malaises. Prends le crime, par exemple. C'est grand, ça, le crime ; c'est vertigineux, c'est métaphysique, ça ébranle les fondations du monde ! Demande à Dostoïevski, tu verras... Eh bien, regarde : aujourd'hui, cela s'appelle le problème de la délinquance et c'est un thème électoral. Votez pour moi, je protège mieux. Avec Peyrefitte, le loup prend la fuite. Ce n'est plus l'Etat-providence, c'est l'Etat-ange gardien... de la paix. Et vas-y que je t'amalgame : les fous de Dieu, les violeurs de l'Ardèche, le gang des postiches et les beurs des Minguettes. Tout ça, messieurs-dames, c'est des nuisances affreuses qui vous empêchent de vivre en paix. En paix, c'est-à-dire en toute sécurité et en toute liberté. Et vlan ! Autre amalgame, permettant d'introduire en douce une nouvelle définition de la liberté, une liberté par vertigineuse du tout, celle-là, pas métaphysique du tout, je te prie de le croire : être libre au XX° siècle, c'est être bien tranquille au chaud dans ses pantoufles. Et les taulards, qui ne veulent pas être en retard d'une mode ni d'un siècle, de réclamer leur paire de charentaises. Normal. Ils veulent être libres, quoi, merde alors ! »

Et je ponctuait ma diatribe d'un ricanement de mépris.


Claude Lucas - Suerte, l'exclusion volontaire
Terre Humaine, Plon - 1996

 

2 commentaires :

  1. un blog qui donne le goût de se lancer dans le vol à l'étalage...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. longue vie aux chouraveurs.
      & que dire du maquillage...

      camoufler un volvo en bécane
      maquiller une glace en iguane
      du grand art

      le vol & le recel mènent aussi bien au trou
      l'autre s'en fout
      l'autre pisse sur le flic
      l'autre fume des cigarillos

      bienvenue dans la raïa Pat.

      Supprimer