" Lubrique et destructeur à la fois " - Oscar Panizza




William Hogarth - Credulity, Superstition and Fanaticism
Pièce présentée par Panizza devant le tribunal - 1895




LE DIABLE, après un moment de silence, s'adressant ironiquement à Dieu le Père. - Bon Dieu ! N'es-Tu pas le Créateur ? Serais-Tu ignorant ?

DIEU LE PERE, avec humeur. - Nous... hm ! Nous ne créons plus ! Nous sommes fatigués ! Et d'ailleurs le domaine proprement terrestre de la sensualité est de ton ressort. Donc, arrange-toi, souille les âmes si tu veux, mais qu'elles puissent retrouver leur pureté !

JESUS, encore faible, veut répéter ces dernières phrases, mais ne réussit qu'à proférer. - Souille – les – âmes...

LE DIABLE, à Dieu le Père. - Exciter les hommes à l'amour, dis-Tu, et en même temps les empoisonner ?

DIEU LE PERE. - Evidemment ! Sinon ils ne marcheront pas !

JESUS, qui a repris son souffle. - La volupté les rend aveugles, à ce que j'ai entendu dire.

MARIE. - Tiens ! On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre !

DIEU LE PERE. - Cherche un peu dans tes chaudrons de sorcière ! Il n'y manque pas d'ingrédients ! Et dans ton enfer, tu en as stocké de toutes les couleurs ! Tu es passé maître dans ce genre de cuisine ! Touille, mélange, crée, engendre-moi quelque chose !

MARIE. - De toute façon, il faut que ce soit extrêmement alléchant – si possible, quelque chose de féminin !

JESUS. - Oui, extrêmement alléchant.

LE DIABLE, creusant une idée. - Lubrique et destructeur à la fois, dites-vous, en sommes ? Et que l'âme ne soit pas définitivement détruite ?

TOUS LES TROIS, ensemble. - Lubrique – destructeur – alléchant – vénéneux – voluptueux – atroce - - qui brûle le cerveau et les veines !

DIEU LE PERE. - Mais pas l'âme ! A cause de la contrition ! A cause du désespoir !

LE DIABLE, arrêtant brusquement là ses réflexions. - Attendez ! J'ai trouvé quelque chose ! Je vais en toucher deux mots à Hérodiade !
(à mi-voix pour lui-même)
Lubrique et destructeur à la fois !
(haut)
Je vous apporterai quelque chose !

MARIE. - Dieu soit loué ! Enfin !

LE DIABLE, faisant demi-tour pour partir.  -  Je crois que j'ai trouvé !

DIEU LE PERE. - Bravo ! Bravo !

MARIE. - Bravo ! Bravo !

JESUS. - Bravo ! Bravo !

TOUS LES TROIS, ils se lèvent de leurs sièges, autant que faire se peut, et joyeusement en frappant doucement dans leurs mains. - Bravo, Diable, bravissimo !

LE DIABLE, il s'incline encore une fois pour prendre congé et fait claquer ses doigts en se retirant. - Je reviendrai bientôt !



Oscar Panizza - Le Concile d'Amour
Traduction Jean Bréjoux
Editions Autrement Littératures

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