(pour que) (croisse) - Andrea Zanzotto



Ingrid GANTNER - L'Oeil de la forêt - 2009



Pour que croisse l'obscur,
pour que soit juste l'obscur,
pour que, un à un, des arbres
et des ramifications et des feuillaisons d'obscur,
il vienne plus d'obscur -
pour qu'en nous tout vienne mettre bas dans l'ombre
de sorte que donner et avoir, arbre le plus sombre,
se rendent à d'uniques racines – surgis
sombre dans la morsure – entre les arbres – surgis
menace nocturne, fumée menaçante:
du non-arborescent par trop grande luxuriance,
viens, pentes déjà montées sur les pentes, l'obscur,
viens, frondaisons tombées, montées sur les frondaisons, l'obscur,
suce-nous autant qu'il se peut dans le bien obscur, dans l'obscure cession
pour te refaire dans le jeu, instant après instant,
de feuillage obscur en obscure filiation
Crois à l'impourvue, toi: l'obscur, les obscurs,
et qu'il n'y ait rien d'autre que la bouche
accidentée pire, meilleure, qu'une envie de consubstantialité,
envie de salvation – bouche à bouche – d'obscur
Que la langue essaie, agresse, s'englue en obscur
nous et nous en langues-obscur
Pour que croisse et s'avère sans s'élancer
mais en s'apaisant dans son accomplissement, l'obscur,
Chaque non des arbres non des sentiers,
non du tubercule contorté, non des phalanges,
non des courbes, des glissades agiles d'herbes,
Pour qu'il croisse et se retrouve et puisse se distraire en espaces,
en tortures, en paix, en armes tendues à l'obscur -
main tendue à l'obscur, main à la belle obscure,
doigt de la main jamais las
de s'enchaî-chaîner, de se mouiller, d'être séants à l'obscur -
Langues toujours au surcroît, au très doux excès
d'obscur, agglutinées, deux qui bout de deux -
clameur, arbres, autour de l'obscur,
clameur de plus en plus haute jusqu'à se dédire en obscur,
jusqu'à la pacifique, la greffe criée, dans le toi, dans le moi, dans l'obscur
Greffe et retours de faveur, creuset d'obscur,
oh, toi, greffé d'obscur en obscur, toi,
prolongée, retranchée de feuille en feuille/obscur,
louée de fougère en fougère, dans le brut, dans le raffiné d'obscur
Mais tu vois et ne peut voir combien il est ici d'obscur,
langue tu as bu et bien d'avantage et des sentiers et des mousses intruses,
cependant, tu t'assures, tu apprêtes, tu désaperçois,
tu te stratifies, légère, bénie, en l'obscur

Non-mémoire, millénaires et milles, entassés dans le fornix
sont un doigt de l'obscur, ôte-le de la bouche, fais-le noeud de phalange,
ruine et répare l'obscur, ce sera ainsi un forfait et un futur
Trop de l'aine, du ventre, de glands et glandes
s'enaimant en obscur, engendre des genres, pétrit du tissu glial
Se précipiter hors baiser, se décoaguler, venir à portée
de tout possible obscur
Arbres possibles, arbres à eux-mêmes obscurs
jamais rassasiés, jamais, d'avoir accès en multitudes,
à se désorienter, à orienter, intolérable levure
Fange d'obscur qui doucement fornique, paît
dans les cavités où se fige de fugues (l'obscur)

Et la pluralité innombrable des modalités
de l'obscur, s'entretailler en innombrables – non deux -
d'obscures sexualités

Ici, en fèce, à l'obscur, être immanent
Là en voûte, à l'obscur, s'exhaler
Possibles, arbres – Possible, obscurs, obscur.
Obscur a soi, sexuée, humilité,
outrecuidance, pitié.


Le Galaté au bois (1978) - pp 167/169 - in Du paysage à l'Idiome
Traduction Philippe Di Meo 
Maurice Nadeau / Editions UNESCO - 1994

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