Les noms - Christophe Tarkos

Les noms sont hantants, me hantent. Ils sont utilisés, ils n’entrent dans aucune généralité, ils ne servent pas une cause, ils ne veulent pas se plier à une règle simple, générale, commune, ils ne veulent pas se décomposer et s’allonger s’assouplir et se modifier et tourner et faire en sorte qu’ils servent à plusieurs occasions différentes et variées. Je dois ranger tous ces noms qui me hantent. Je ne sais pas à quoi ils servent, je m’en sers, ils sortent instinctivement sans avertir, ils proviennent d’un fond où ils ne trouvent pas le sommeil, où ils continuent à bouger, à tourner en essayant de s’agglomérer à des termes usuels, utilisables, à des phrases, à des morceaux de phrases, ils ne veulent pas rester seuls en eux-mêmes, dépourvus de toute attache, il faudrait que je les attache, qu’ils ne viennent plus d’eux-mêmes se glisser dans les phrases au beau milieu des phrases que je suis en train de prononcer mêlés à des mots normaux, bien glissés, bien à l’intérieur des mots normaux comme s’ils venaient de la même profondeur, je ne peux pas faire une phrase sans que ces noms indéclinés viennent se glisser comme si de rien n’était, dans le flot continu des paroles, comme s’ils avaient le droit de venir dans ma bouche comme tous les autres mots qui en ont le droit parce qu’ils sont mots communs, mots de tout le monde, mots qui se découvrent, qui n’existent pas, qui se changent, qui e déclinent. Je ne veux pas les enregistrer là où tous les mots qui n’existent pas sont enregistrés, je ne veux pas qu’ils aient une puissance autre, un effet serein, une certitude, comme si tout ce que je disais ne servait qu’à mettre en relief des noms.

Anachronismes, P.O.L., 2001.

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