L’ombilic des limbes - Antonin Artaud




Là où d’autres proposent des œuvres je ne prétends pas autre chose que montrer mon esprit.
La vie est de brûler des questions.
Je ne conçois pas d’œuvre détachée comme détachée de la vie.
Je n’aime pas la création détachée. Je ne conçois pas non plus l’esprit comme détaché de lui-même. Chacune de mes œuvres, chacun des plans de moi-même, chacune des floraisons glacières de mon âme intérieure bave sur moi.
Je me retrouve autant dans une lettre écrite pour expliquer le rétrécissement intime de mon être et le châtrage insensé de ma vie, que dans un essai extérieur à moi-même, et qui m’apparaît comme une grossesse indifférente de mon esprit.
Je souffre que l’Esprit ne soit pas dans la vie et que la vie ne soit pas l’Esprit, je souffre de l’Esprit-organe, de l’Esprit-traduction, ou de l’Esprit intimidation-des-choses pour les faire entrer dans l’Esprit.
Ce livre je le mets en suspension dans la vie, je veux qu’il soit mordu par les choses extérieures, et d’abord par tous les soubresauts en cisaille, toutes les cillations 
de mon moi à venir
.
Toutes ces pages traînent comme des glaçons dans l’esprit. Qu’on excuse ma liberté absolue. Je me refuse à faire de différence entre aucune des minutes de moi-même. Je ne reconnais pas dans l’esprit de plan.
Il faut en finir avec l’Esprit comme avec la littérature. Je dis que l’Esprit et la vie communiquent à tous les degrés. Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n’auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité.
Et ceci n’est pas plus une préface à un livre, que les poèmes par exemple qui le jalonnent ou le dénombrement de toutes les rages du mal-être.
Ceci n’est qu’un glaçon aussi mal avalé.

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