Lettre de Flaubert à Ernest Feydeau


Flaubert  en 1846, à 25 ans.


21 août 1859

Après mille réflexions, j’ai envie d’inventer une autobiographie chouette, afin de donner de moi une bonne opinion :

1° Dès l’âge le plus tendre, j’ai dit tous les mots célèbres dans l’histoire : nous combattrons à l’ombre – retire-toi de mon soleil – quand vous aurez perdu vos enseignes et guidons – frappe, mais écoute, etc. ;

J’étais si beau que les bonnes d’enfant me masturbaient à s’en décrocher les épaules... et la duchesse de Berry fit arrêter son carrosse pour me baiser (historique) ;
3° J’annonçai une intelligence démesurée. Avant dix ans, je savais les langues orientales et lisais la Mécanique céleste de Laplace ;
4° J’ai sauvé des incendies XLVIII personnes ;
5° Par défi, j’ai mangé un jour XV aloyaux, et je peux encore, sans me gêner, boire 72 décalitres d’eau-de-vie ;
6° J’ai tué en duel trente carabiniers. Un jour nous étions trois, ils étaient dix mille. Nous leur avons foutu une pile !
7° J’ai fatigué le harem du grand turc. Toutes les sultanes, en m’apercevant, disaient : "Ah ! Qu’il est beau ! Taïeb ! Zeb ketir !"
8° Je me glisse dans la cabane du pauvre et dans la mansarde de l’ouvrier pour soulager des misères inconnues. Là, je vois un vieillard... ici une jeune fille, etc. (finis le mouvement), et je sème l’or à pleines mains ;
9° J’ai huit cent mille livres de rentes. Je donne des fêtes ;
10° Tous les éditeurs s’arrachent mes manuscrits ; sans cesse je suis assailli par les avances des cours du nord ;
11° Je sais le "secret des cabinets" ;
12° (et dernier). Je suis religieux !!! J’exige que mes domestiques communient.

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